Rencontre avec Jeanne Biscioni, directrice artistique du festival Films Femmes Méditerranée

Une introduction à la manifestation Cinéma(s) du Liban organisée par l’association Aflam

La 5ème édition du festival Films Femmes Méditerranée vient de se terminer. Pour représenter le Liban cette année : la projection de « Nilofaar » de Sabine Gemayel – film dont l’action se déroule dans une région frontalière entre l’Iran et l’Irak, précisons-le. Nous avons rencontré Jeanne Biscioni, la directrice artistique du festival pour qu’elle nous livre son point de vue sur le cinéma libanais. Pour Jeanne Biscioni, il ne fait pas de doute que  le cinéma libanais occupe une place particulière dans la production méditerranéenne.

Des réalisatrices à part égale avec les réalisateurs

Elle souligne pour commencer la forte présence des réalisatrices, quasiment à parité avec des réalisateurs.  Ce rapport s’est même trouvé inversé lors du dernier festival de Cannes : dans les projections organisées par le pavillon libanais, il n’y avait que des œuvres de réalisatrices. C’est une situation inédite non seulement dans la production arabe mais aussi dans l’ensemble du cinéma méditerranéen.

Un cinéma d’art et essai, proche du documentaire et des arts plastiques

Seconde caractéristique : le  cinéma libanais fait la part belle au documentaire. Certes, la production libanaise n’étant pas une grosse industrie, ce sont les films documentaires qui sont les plus accessibles à la production de par leur moindre coût. Mais au-delà de ces conditions matérielles, le documentaire est la forme cinématographique qui semble soutenir le mieux la réflexion que les réalisateurs libanais souhaitent mener sur « les événements ».

Difficile pour le cinéma libanais d’être un cinéma de divertissement ! En tout cas en ce qui concerne les films projetés hors Liban, il s’agit plus de films art et essai que grand public. D’autant que, comme le souligne Jeanne Biscioni, on retrouve souvent dans l’esthétique du cinéma libanais l’influence des arts plastiques.  Des réalisateurs côtés, tels Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (dont le film Je veux voir a été sélectionné au Festival de Cannes 2008 dans la section « Un certain regard ») sont au départ des plasticiens qui se sont consacrés à la vidéo d’art et / ou aux installations incluant la vidéo, puis à la réalisation de films.

Le résultat en est un croisement de genres puissant : du documentaire souvent teinté de fiction (ou l’inverse), un cinéma en phase avec les mouvements de l’art contemporain, engagé dans le traitement des sujets sans concession (les rapports hommes-femmes, la guerre) et, en retour, la proie facile de la censure.

Le parcours d’une passionnée de cinéma

Jeanne Biscioni invoque ses origines italiennes pour raconter sa passion du cinéma qu’elle découvre très jeune, à l’époque des séances du dimanche après-midi dans les cinémas de quartier : peu importait le film, pourvu que la séance ait lieu ! Sa cinéphilie s’est ensuite forgée au cinéclub du collège, lors des séances proposées par quelques enseignants férus de cinéma et soucieux d’apprendre à leurs élèves à voir un film avec un regard aiguisé. Puis ce sont les études universitaires et l’obtention de la licence de cinéma nouvellement créée. C’est dans une société de production spécialisée dans les films industriels qu’elle acquiert une formation de terrain en tant qu’assistante réalisatrice. Poussée ensuite vers le journalisme, elle ne tardera pas à retrouver son sujet de prédilection au service Spectacles du Provençal (devenu plus tard La Provence) où elle aura la responsabilité de la rubrique cinéma. Nous y voilà de nouveau : ce sont alors les années d’enseignement de l’histoire du cinéma à l’université d’Aix-Marseille pendant quinze ans, tout en s’impliquant de plus en plus dans la programmation dans différentes manifestation : Cinéma du Sud, les Rencontre d’Averroès et Films Femmes Méditerranée depuis 2005.

Les films qu’elle conseille absolument de voir à l’occasion du festival Cinéma(s) du Liban organisé par Aflam ?

Tous bien sûr… mais en particulier, Bosta de Pierre Aractingi, pour la magnifique volonté de vivre et le désir de renaissance qu’il illustre, West Beyrouth, ce joli film sur les derniers jours du Beyrouth d’avant la guerre, Chou Sar ?, censuré au Liban et réalisé par un de ses anciens élèves, De Gaulle Eïd, dont elle ignorait, à l’époque, la tragique histoire, A Perfect day, Khiam 2000-2007 et Je veux voir, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, pour l’originalité de leur travail, et Dans les champs de Bataille, de Danielle Arbid.

Un coup de cœur pour l’œuvre de Jocelyne Saab

Ah ! Le « cas » Jocelyne Saab, qui fut d’abord reporter de guerre avant de devenir une réalisatrice au plein sens du terme, et dont l’œuvre, pour Jeanne Biscioni, mériterait d’être entièrement revisitée, tant elle représente à n’en pas douter un témoignage majeur sur toute cette période tourmentée.

Pour l’heure, nous avons l’occasion de voir ou revoir de cette réalisatrice deux films ayant trait au Pays du cèdre : Le Liban dans la tourmente, documentaire de 1975, et Une vie suspendue , son premier film de fiction, qui date de 1985, ainsi que Dunia qu’elle a tourné en Egypte en 2005 et qui dénonce l’excision. (L’avant-première de ce film, en présence de la réalisatrice, lors des premières Rencontres Films Femmes Méditerranée, avait d’ailleurs donné lieu à une soirée mémorable). Trois dates comme trois jalons de la maturation d’une œuvre.

Propos recueillis par Liliane Khouri
This entry was posted in Cinéma, Portraits, Évènements and tagged , , . Bookmark the permalink.

Comments are closed.