Riches en générosité par Rafqa Farah

Un récit de Rafqa Farah, psychologue, de retour d'un séjour chez elle, en Syrie, où elle a accompagné dans leurs visites ses amis qui organisent la solidarité avec les réfugiés libanais, à Damas. Partis sans pouvoir parfois emporter leurs papiers, les libanais entrent en Syrie sans qu'ils aient à payer de taxe ou à justifier de leur identité. Sous la menace des frappes aériennes israéliennes, ce qu'importe pour les douanes syriennes est de mettre à l'abri les personnes. La population syrienne s'organise tant bien que mal pour les accueillir. Universités, écoles et différents centres de l'état leur ouvrent leurs portes. Des particuliers, qu’ils soient riches ou pauvres, les reçoivent dans leurs maisons ou dans leurs hôtels. Les prix pratiqués, quand ce n'est pas gratuit, ce sont des prix habituellement proposés aux syriens. Les taxis refusent d'accepter un paiement. Des collectes d'argent ou de certains matériels sont organisées à travers le pays. Des volontaires de tous bords participent de manière spontanée. Parmi eux, une amie qui m'avait contactée pour des dons que j'ai pu collecter à Marseille à l'aide de quelques amis et sous l'égide de Santé Sans Frontière, m'invite pour l'accompagner avec d'autres volontaires dans une nouvelle mission. Elle m'explique que jusqu'à ce jour, ils ont aidé les réfugiés accueillis dans les écoles. Ils ont été appelés la veille pour soutenir les familles qui accueillent des réfugiés. C'est ainsi que le premier soir de mon arrivée à Damas, le 30/07/2006, je vais à Al-Hseinieh, une banlieue des plus pauvres de la ville (Damas). Un endroit très mal desservi car construit sans l'autorisation nécessaire. Le choc de voir le peu de choses que possèdent ces gens, laisse rapidement place à la générosité et à la bonté qu'ils dégagent. Une veuve possèdant un petit magasin qui tient sur l'un des murs de l'entrée de sa maison large d’un mètre cinquante, accueille trois familles libanaises dans la seule pièce qu'elle possède pour elle et ses deux enfants. La pièce est meublée par un tapis en plastique et quelques matelas fins et étroits, posés par terre. La maîtresse de maison, d'origine palestinienne, dit savoir ce que c'est de ne pas avoir de toit. On dit "beit el-diq bi-saa alf sdiq" ce qui veut dire : "la maison, même étroite, elle peut contenir mille amis". Les libanais qui ont des proches en Syrie, sont venus accompagnés par leurs voisins. C'est pourquoi on peut trouver dix familles réfugiées dans une seule maison. Abou Niddal qui nous guide pour rencontrer les familles, nous explique que les gens viennent mettre leurs noms et adresses chez lui en tant que candidats à l’accueil. Ensuite, les réfugiés qui arrivent sont répartis chez ces candidats. Très efficace, l'équipe de bénévoles recense les besoins de la moitié des familles d'accueil. Dans chaque maison, Maha, Oumaïma et Rim se réunissent avec les mères présentes pour leur demander ce dont elles ont besoin, les tailles des enfants et s'il y a des malades parmi eux. Ce soir nous quittons Al-Hseinieh à minuit. Je parle du soir car les bénévoles entament le travail du soutien aux libanais après leur journée de travail. Maha, ingénieur informaticienne, travaille à l'Institut français des études arabes à Damas. Oumaïma, ingénieur informaticienne, travaille au journal syrien Tichrin. Rim est sociologue et, par ailleurs, styliste, elle vient avec son mari, Samer, qui est philosophe. Rami, ingénieur civil, nous accompagne ce premier soir. Ahmed, ingénieur civil, nous prête sa voiture pour nous y rendre le lendemain soir. Niddal fait le chauffeur. L'équipe termine le recensement des besoins et promet de livrer les familles le jeudi suivant. Maha m'explique que c'est juste le temps de faire les achats, de les répartir par famille dans des cartons et puis les livrer. Les maisons des bénévoles sont devenues des dépôts pour les achats effectués avant qu'ils soient distribués. Je suis reconnaissante aux bénévoles, aux familles d'accueil et aux familles libanaises qui m'ont laissé ce souvenir d'une bouffée d'humanité que cette région de la terre transpire encore. J'ai appris les effets de leur force d'espoir sur leurs enfants et sur moi-même qui partais les rencontrer avec le cœur plein de tristesse et de désespoir. J'étais témoin d'une solidarité unique qui a peu à voir avec le matériel, qui a à voir avec ce qui n'est pas mesurable chez l'homme. C'est une humanité qui ne fait pas rentrer en ligne de compte les calculs d'un homme raisonnable qui veut accueillir raisonnablement. C'est partager le peu que l'on a. Là est la vraie résistance contre la guerre, c'est l'ouverture à l'autre sans calcul et donc sans peur. Rafqa FARAH Marseille 28/08/2006
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